Vers la reconnaissance de l homoparentalité

Publié le par Alipeg CARVIN

La Cour de cassation vient de donner une première assise juridique à l'homoparentalité : dans un arrêt - qui fera jurisprudence - rendu vendredi 24 février, la haute juridiction autorise pour la première fois un couple de femmes homosexuelles à exercer en commun l'autorité parentale sur Camille et Lou, les petites filles qu'elles élèvent ensemble depuis leur naissance.

Le code, note la première chambre civile de la Cour, "ne s'oppose pas à ce qu'une mère seule titulaire de l'autorité parentale en délègue tout ou partie de l'exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les circonstances l'exigent et que la mesure est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant".

Christine Boudet et Sophie Marin, qui ont conclu en 1999 un pacte civil de solidarité, vivent ensemble depuis dix-sept ans. La première, qui est conseillère d'orientation et psychologue, est la mère biologique de Camille et de Lou, qui ont toutes deux été conçues grâce à une insémination artificielle. "C'est Christine qui a porté nos enfants, mais il s'agissait d'un projet commun, explique aujourd'hui Sophie Marin. Pour nous, l'aspect biologique était secondaire. Ce qui était important, c'est que nous voulions fonder une famille. En général, les enfants ont un papa et une maman. Nos filles, elles, ont deux mamans."
Depuis leur naissance, les petites filles, qui ont aujourd'hui 6 et 3 ans, sont élevées par le couple : tous les mercredis après-midi, c'est Sophie Marin, dirigeante d'une entreprise de négoce, qui s'occupe des enfants. "Les deux femmes ont toujours été une source commune d'affection, de protection et d'éducation, constate leur avocate dans son mémoire, mais cette situation n'avait aucune assise juridique, créant un décalage entre le droit et le fait au détriment de l'intérêt des enfants."
Pour pallier cette difficulté, Christine Boudet et Sophie Marin ont décidé d'invoquer un texte de loi qui permet, depuis 2002, à un parent de "déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance". Voté à l'initiative de Ségolène Royal, qui était alors ministre de la famille, ce texte facilite la gestion du quotidien en autorisant le "tiers" à prendre une place dans la vie de l'enfant. "Ici, dans le petit village de 1 400 habitants où nous vivons, il n'y a aucun souci, note Sophie Marin. Je vais chercher nos filles à l'école, je les accompagne chez le médecin, nous sommes toutes les deux reconnues comme les mères de Camille et Lou. Mais si un jour je devais aller, par exemple, aux urgences avec l'une d'elles, on pourrait me demander de justifier mes liens avec l'enfant. Et juridiquement, je n'en ai pas."
Dans un premier temps, le juge aux affaires familiales refuse leur demande, mais, le 11 juin 2004, la cour d'appel d'Angers accepte la délégation d'autorité parentale. Dans leur arrêt, les magistrats soulignaient que "Camille et Lou sont décrites comme des enfants épanouies, équilibrées et heureuses, bénéficiant de l'amour, du respect, de l'autorité et de la sérénité nécessaires à leur développement" et que "la relation unissant Christine Boudet et Sophie Marin est stable depuis de nombreuses années et considérée comme harmonieuse et fondée sur un respect de leur rôle auprès des enfants".
"L'absence de filiation paternelle, ajoutait cependant la cour, laisse craindre qu'en cas d'événement accidentel plaçant la mère, astreinte professionnellement à de longs trajets quotidiens, dans l'incapacité d'exprimer sa volonté, Sophie Marin ne se heurte à une impossibilité juridique de tenir le rôle éducatif qu'elle a toujours eu aux yeux de Camille et Lou."
En 2004, le procureur général d'Angers avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, soumettant pour la première fois à la haute juridiction le cas d'une délégation d'autorité parentale au sein d'un couple homosexuel. La décision était d'importance : beaucoup de parents homosexuels qui se sont engagés dans des procédures attendaient cet arrêt pour savoir si leur dossier pourrait un jour aboutir. En confirmant la décision de la cour d'appel d'Angers, la première chambre civile de la Cour de cassation, présidée par Jean-Pierre Ancel, leur donne de bonnes raisons d'espérer.
La délégation de l'autorité parentale, cet "ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant", selon le mot du code civil, ne crée pas de lien de filiation et n'entraîne aucune conséquence successorale. "Mais elle permet de faciliter la vie quotidienne de ces familles qui souhaitent avant tout protéger leurs enfants, souligne l'avocate Caroline Mécary. La décision a également une dimension symbolique : il est bon que ces enfants sachent que leur deuxième parent a un statut. C'est pour eux une source de stabilité."
Les associations ne s'y sont pas trompées. "C'est une décision intéressante dont nous nous réjouissons, note Alain Piriou, le porte-parole de l'Interassociative LGBT (lesbienne, gay, bi, trans), qui organise tous les ans la Marche des fiertés. Lors de la rédaction du texte sur la délégation d'autorité parentale, en 2001, le cabinet de Ségolène Royal nous avait d'ailleurs dit qu'il s'appliquerait aux couples de même sexe." Le coprésident de l'Association des parents gays et lesbiens, Eric Garnier, se félicite quant à lui de ce "début de reconnaissance". "Même si ce petit pas nous laisse sur notre faim !"
Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 26.02.06 du Monde
En lien : le commentaire de notre magistrate préférée sur le site de l'association LesBienNées
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M
oops, pardon pour le lien : http://www.association-lesbiennees.org/article.php3?id_article=323
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M
[Découvrez la campagne EGALITE->323]
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